Quelques mots sur la démarche
De l’air! Avoir la tête dans les nuages et les pieds sur terre! Voilà le programme. Comment vivre la vie rêvée? Que veut bien dire une expression pareille? Et s’il fallait renoncer à l’argent, à la consommation, au travail tel qu’on se le représente communément, c’est-à-dire comme une obligation?
Depuis que j’ai fait un pas de côté pour sauter dans le fossé, quittant l’autoroute de la vie tracée, où je “performais” bien peu, j’ai redéfini mes besoins et pris enfin confiance en moi. J’ai ouvert les yeux et les ailes pour vivre la belle vie: celle qui me convient. Dans un monde où les inégalités sont criantes, même en France, secouer le joug des déterminismes sociaux pour revendiquer une vie de rentière en temps, sans les moyens financiers qui “excusent” généralement l’oisiveté, est en soi une forme de militantisme. Je n’en ai pris conscience que progressivement. Mais de quelle oisiveté parle-t-on? De la skholè des Grecs, de l’otium des Romains, de la Thélème de Rabelais, d’un pays de Cocagne pour intellos fauchés, du droit des petites gens à se cultiver. Je voudrais plaider pour un congé citoyen: la skholè pour tous!
Mais ce n’est pas le seul objectif de cette newsletter. Itinérante sur la route d’avril 2017 à début janvier 2023, je vis désormais sur un voilier dans un port du Morbihan. Suis-je encore nomade? Que veut dire être de quelque part? Comment se développe un sentiment d’appartenance? Voici quelques-unes des autres questions qui m’interpellent et qui émailleront les différents textes partagés. Elles ont une dimension éminemment politique, comme le rapport au travail et au temps: cette newsletter est une manière de participer au débat public.
Je tiens un journal de bord depuis le début de ma vie non sédentaire. Ce journal, pensé au départ comme un simple outil de documentation de ma démarche, devait me servir pour mesurer les changements induits par un mode de vie un petit peu décalé par rapport à la majorité des personnes en France, tant d’un point de vue matériel que mental. La publication de ce journal participe également de ma démarche d’engagement citoyen.
Je ne vise ni le buzz ni l’instantané. Alors que je rentre en année 7 d’une vie un peu différente de celle que j’ai vécue jusqu’en 2017, je n’ai publié que les 3 premières années. Les 3 suivantes sont écrites, mais il leur manque encore un travail éditorial et la soumission aux personnes citées. Cependant, ce ne sont pas les causes principales de ce décalage de publication. Je cherchais une manière de faire qui favorise le débat. En découvrant Kessel, j’y ai vu l’opportunité de commenter le récit de mon quotidien. Le texte du journal restera, quant à lui, consultable en intégralité et en accès libre sur la plateforme Atramenta.
Depuis janvier 2024, afin de faciliter la discussion et accélérer la publication du journal, j’ai lancé une 2e newsletter: Du bitume à l’eau, journal de bord. Je vous invite à vous y abonner.
Ce quotidien n’est pas intéressant en soi. Ce n’est pas ma petite vie qui importe. Non, ce qui importe, c’est le débat qui peut être suscité. Mon mode de vie n’est ni moins bien ni mieux que le vôtre: il est différent. Le point principal est que vous viviez la vie qui vous convienne. Or, dans une société où les inégalités prospèrent, il est de moins en moins toléré que les petits aient des rêves.
C’est dans cet esprit aussi que j’ai adhéré à l’Association pour l’Autobiographie (APA). Mes journaux feront peut-être un jour partie d’un corpus de textes sur la vie ordinaire des gens modestes, corpus qui aidera les chercheurs des temps futurs à documenter notre époque. Je ne peux pas écrire ces lignes sans citer Annie Ernaux, ma grande papesse:
“Il est bon de rappeler que le « je », jusque-là privilège des nobles racontant des hauts faits d’armes dans des Mémoires, est en France une conquête démocratique du XVIIIe siècle, l’affirmation de l’égalité des individus et du droit à être sujet de leur histoire". Extrait de son discours prononcé lors de la remise du Prix Nobel de Littérature en décembre 2022.
Enfin, même si je cherche à minimiser mes besoins pour pouvoir écrire plus et effectuer moins de petits boulots, j’ai l’espoir que cette newsletter gagnera le soutien d’un certain nombre d’entre vous. Son contenu sera toujours en accès libre afin de n’exclure aucun lecteur. Le soutien financier de ceux qui le peuvent m’aidera à continuer de vivre cette vie studieuse tournée vers la réflexion grâce au temps préservé: un luxe incomparable qui ne devrait pas être réservé à quelques-uns.
Avril 2023, texte mis à jour en janvier 2024