Face aux discours moralisateurs qui culpabilisent les "petits", les "qui ne sont rien", osons nous affirmer et réclamer nous aussi la belle vie! Non pas une vie toujours facile, mais le droit d'exister et d'avoir du temps de qualité: un temps non soumis au dressage social, un temps non "productif". Osons être "inutiles".
C’est en partie mon programme: vivre pour celles et ceux « de ma race »i
Le terme de race doit être entendu non pas comme un vocable destiné à classer les personnes en fonction de la couleur de leur peau, mais comme une manière de prendre acte de la violence des divisions fondées sur des critères de classe sociale. C’est l’usage qu’en fait Annie Ernaux dans son oeuvre, et qu’elle a rappelé dans son discours de réception du Prix Nobel de Littérature (2022, extrait en fin d’article). Ces critères de distinction sociale (pour utiliser les mots de la sociologie bourdieusienne) n’en finissent pas de nous séparer. Et bien qu’ils soient un produit de la société, ils sont parfois vus comme faisant partie de l’essence même des individus : c’est la biologisation des inégalités. Les pauvres ne pourraient que l’être puisqu’ils seraient nés tels. Il y aurait des “supérieurs” et des “inférieurs”. Et gare à ceux qui revendiqueraient une place au soleil différente de ce qui leur serait “échu par naissance”. Après ces quelques lignes qui mériteraient de nombreux développements, voici l’histoire que je voulais partager avec vous.
En novembre 2024, j’ai effectué, à la demande d’une amie, une rapide présentation de ma démarche à la fin du congrès de médecine qu’elle organisait. Son association professionnelle a l’habitude de terminer ses rassemblements par une conférence surprise décalée, en l’occurrence sur ma recherche d’autonomie et de cohérence.
J’avais préparé une trentaine de minutes de speech qu’il a fallu raccourcir à 15. Exercice intéressant, auditoire poli. Des questions à la fin et surtout l’une d’entre elles, qui m’a fait réfléchir à ma manière de me présenter.
D’une façon très urbaine, une personne voulait pointer le fait qu’à ses yeux, je profitais du travail de tous, alors qu’eux, médecins, étaient tout au contraire au service des autres. Oui, c’est en tout cas ce qui se dit dans les dîners en ville.
J’ai mal dormi la nuit suivante. Sans cesse tournaient et retournaient dans ma tête les mots de cette femme. Je revoyais aussi son regard sûr de lui, de son « bon mot », de son « bon droit ».
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