Réussir? Suite

A la recherche du temps qui file! Qu'est-ce réussir sinon dompter le quotidien et le dépasser? Se jeter à l'eau? Se planquer? On en discute. Voici un texte avec les coutures, mois d'août oblige! Lignes tissées en jonglant avec, en prime, un magnifique plantage informatique de dernière minute. Il faut bien s'amuser un peu, non?

La belle vie!
14 min ⋅ 31/08/2023

Un GRAND MERCI à Catherine (cadre marketing, puis enseignante, retraitée depuis juillet 2022), qui a contribué à l’enrichissement de ces lignes.

Merci à Isabelle pour sa relecture attentive et sa pêche toujours fructueuse (les coquilles se ramassent toute l’année!)

Pour se remettre en selle: maillon d’accroche (fin de la newsletter précédente)

Une des réponses possibles est à chercher du côté d’un retour au corps, non pas dans une démarche consumériste et compétitive (avoir le plus beau, le plus sain… selon les modes en vigueur), mais dans un exercice de réappropriation de notre biologie. Oui, nous avons des besoins qu’il faut satisfaire et qui permettent à nos cerveaux de mieux fonctionner. Ralentir, travailler moins, avoir du temps de qualité et pas seulement du temps de repos zombifiant pour “simplement” se remplir ou se “vider la tête”, voilà ce qui devrait nous préoccuper. Cela passe par d’autres rapports au travail et d’autres manières de nous définir. Nous ne pouvons pas être seulement des “actifs” (ou “inactifs” désireux de ne plus l’être).

Le texte du mois dernier s’achevait ainsi sur la nécessaire émancipation du concept de réussite de la seule sphère professionnelle et le besoin d’un retour aux dimensions du corps, sans verser dans une vision biologisante à outrance ni dans les remèdes spiritualo-fumeux, car nous sommes une espèce animale avec des rythmes biologiques qui ne peuvent être impunément niés. Il faut remettre la vie quotidienne à sa place, centrale (une alimentation saine et des rythmes de vie préservant la santé sont nécessaires), mais non suffisante (le quotidien ne comble pas), en se dégageant du temps pour penser, du temps pour soi, et du temps pour ceux qu'on aime!

Je bloque un peu sur l' "alimentation saine" qui fait un peu discours rabâché. A l'inverse “rythme de vie” me parle mais ça recouvre tellement de choses que juste ces mots dans une parenthèse ça me parait limité.

Je dirais un accès pour tous à une alimentation sans pesticides, sans perturbateurs endocriniens… Une alimentation qui nous aide à être en bonne santé. Et c’est un projet de société en soi.

Concernant les rythmes de vie, il faudrait massivement limiter le temps de travail contraint à 2, voire 3 jours maximum par semaine pour pouvoir se consacrer à ce qui a plus de sens pour chacun le reste du temps.

Ça me parait réducteur ou imprécis comme éléments importants de la "vie quotidienne"; ou qu'est-ce que la "vie quotidienne"?

Pour ma part, je place tout ce qui relève de la vie biologique et de la vie sociale élémentaire (se nourrir, avoir chaud, un toit, des gens à qui parler, même pour ce qu’on appelle des « small talks ») dans le registre du quotidien au sens très basique : ce qui est fait tous les jours, ce qui revient sans cesse, qui est continuellement à refaire : lessive, vaisselle, courses, ménage, promenades du chien…

J’y mets aussi toutes les habitudes et les engagements qui nous détournent/éloignent de nos envies/besoins profond(e)s (dans mon cas, l’écriture) : tout ce qui pourrait être rangé du côté de la distraction ou du divertissement tel que défini par Pascal.

J’oppose la vie quotidienne et l’oeuvre : ce qui reste du temps qui a filé entre nos doigts qu’il s’agisse d’un texte, d’un dessin… Mais s’accomplir peut revêtir de multiples formes : bouleverser son organisation pour se rendre disponible pour ses petits enfants, par exemple ? Pour partager un peu de leur vie et forger des souvenirs communs. Oui, tout à fait !

La vie quotidienne est celle qui engloutit tout sans laisser de traces (Annie Ernaux en parle très bien dans La femme gelée, entre autres, quand elle évoque le ménage : les jolis meubles dont il faut prendre soin par exemple, c’est ce qui me revient en mémoire en premier). C’est un tremplin et une prison : un socle sur lequel s’appuyer pour avoir l’esprit tranquille et penser à autre chose qu’à l’entretien des corps et des relations sociales, mais où il est aussi facile de se laisser piéger.

Ceux qui travaillent depuis leur domicile le savent bien : si on attend d’avoir le temps de « s’y mettre », on ne l’aura jamais. Et pour les artisans du texte, c’est pareil : il faut reléguer le quotidien dans un coin pour ménager de la place à ce qui va laisser une trace, même fugace dans nos esprits : avancer sur un texte, une peinture, prendre le temps de téléphoner à quelqu’un qu’on a négligé… Tout ce qui nous permettra de sortir tel jour du flot incessant en se disant : tiens, ce jour-là, j’ai fait ça. On ne se souvient pas de ses lessives ou des rangements, mais bien de ce qui n’est pas reproduit chaque jour. Une journée satisfaisante est, dans mon cas, une journée pendant laquelle j’ai avancé au moins sur un texte. Certains jours peuvent être consacrés à autre chose (apprendre à naviguer, pour prendre un exemple de ma nouvelle vie sur l’eau), mais ces journées octroyées, abandonnées à autre chose ne doivent pas prendre le pas sur le reste. Mes 2 mois de chantier à terre sur mon bateau ont été intéressants et nécessaires, mais mon travail d’écriture en a pris un coup et mon moral aussi. Demandez à un créateur s’il est bien quand il ne crée pas, il vous répondra non.

Cela ne veut pas dire que nous travaillons tous à des chefs d’œuvre. La question n’est pas là : quel que soit son talent et sa pratique, on ne se sent pas bien quand on reste trop longtemps éloigné de ses toiles ou de son clavier. Si la routine de travail ne doit pas être confondue avec le quotidien, la réussite d’une journée réside ainsi, de mon côté en tout cas (mais c’est une banalité pour tous ceux qui écrivent ou créent d’une autre façon ou sont passionnés par une activité sportive ou autre) dans la faculté de consacrer au moins une partie de cette journée à ce qui nous obsède. Oui, la plupart des processus créatifs sont routiniers et exigent de la régularité : on s’assoit devant son ordinateur et on y passe des heures, chaque jour. Il n’y a que de cette façon que ça avance. Sur France Culture, récemment, une écrivaine anglophone parlait de sa routine de travail, en pyjama sur son canapé. Écrire ne lui faisait pas toujours du bien mais elle soulignait dans ces termes-là : « il faut se bouger le cul, il n’y a que comme ça que les livres se font ». Je ne retrouve plus la référence, si vous l’avez, merci de me la communiquer.

Si j’étais aussi sérieuse que je le souhaite, je lirais 2 h par jour au réveil (tôt) des ouvrages de sciences sociales ou de philosophie, je rédigerais 3 journées du journal de bord, puis avancerais sur le travail éditorial des années non encore publiées, avant de continuer sur mon 2e roman en souffrance et sur la newsletter. Avant de dormir, je pourrais lire de la fiction. Entre 2, je serais allée marcher ; j’aurais échangé avec des amis, voire pris un petit café en passant. C’est ma journée idéale. Autant dire tout de suite que j’en suis loin. J’avance malgré tout à petit pas car je ne m’accorde jamais de pause : une journée sans programme n’existe pas, car j’ai toujours envie d’écrire. Mon problème est organisationnel (je passe trop de temps à m’occuper de ma petite maison : étendre le linge par exemple… quelle corvée) et physique (je suis une grosse dormeuse qui se traîne quand elle n’a pas ses 7h30/8h de sommeil…) Promener ma chienne m’aide à me maintenir en forme et à m’aérer. Mais il faudrait aussi que je trouve plus de temps pour apprendre à naviguer et m’occuper de mes sites internet, en particulier de celui dédié aux peintures de mon arrière grand-mère Francine Richard-Hennecart. Résultat, j’ai souvent l’impression de n’avoir rien fait, ce qui est faux mais...

Et pour toi ? Qu’est-ce qu’une journée réussie ? Ça n’est pas ce soir que je répondrai !! Une vraie parole de grand-mère en opération extérieure ;-)

En gardant en tête l’importance de cette boussole intérieure, la réussite apparaît alors plus liée à un cheminement personnel qu’à des normes et injonctions sociales. Mais quel serait le juste milieu ?

Y a-t-il un juste milieu? Et est-ce que la recherche du juste milieu définit la réussite?

Je dirais que, dans le cadre qui est le nôtre (société riche, où les libertés individuelles sont, malgré les inégalités, valorisées) je peux revendiquer le droit d’être « moi-même », avec tous les bémols liés au diktat de « l’épanouissement ». La dimension plus revendicative de la démarche tient dans l’exigence de temps pour écrire même sans beaucoup d’argent : je revendique une vie studieuse qui n’était réservée qu’à quelques-uns par le passé, et qui, encore aujourd’hui, fait figure d’exception. Qui a tout son temps pour soi pour créer et se cultiver ? Bien sûr, j’ai une activité alimentaire, mais en vivant sans lieu fixe (même si maintenant je suis rattachée à un port), je peux limiter cette activité à 2 ou 3 jours par semaine. Et que faudrait-il faire d’autre ? Renoncer à faire carrière ? Quelle place veut-on occuper sur le grand damier social ? Si je compte bien continuer de m’offrir ce temps pour écrire, je ne peux pas nier que je vise, à terme, d’en tirer mes revenus : que ce soit via cette newsletter et/ou des bourses d’écriture et des résidences.

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La belle vie!

La belle vie!

Par Alexandra Borsari

Écrivaine de fiction et non-fiction. Militante pour un congé citoyen et la Skholè pour tous : avoir du temps pour soi, en particulier pour les activités culturelles, ne devrait pas être un luxe réservé à de rares élus. Nomade sur les routes d'avril 2017 à début 2023, je vis maintenant sur l'eau dans un petit voilier. Apprentissage de la navigation en cours pour repartir en itinérance, au moins une partie de l'année.

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