Que la première qui n’a jamais eu l’impression d’être un bout de chair sur un marché me jette la première pierre

Merci à Catherine* pour sa relecture, ses remarques et son témoignage (en bleu dans le texte)

La belle vie!
8 min ⋅ 22/05/2023

Ce coup de gueule n’était pas prévu maintenant, mais il aurait fatalement fini par apparaître un jour ou l’autre. Après 45 ans, les femmes sont poursuivies par l’ostéoporose et un paquet d’hommes plus âgés, incapables d’imaginer qu’une femelle leur sourie sans idée derrière la tête.

Alors, la belle vie ? Pour y parvenir, faisons le ménage et préservons ce que nous avons de plus précieux : notre intégrité, notre temps et notre énergie.

Un de ces derniers week-ends, j’ai dû laisser ma chienne en garde la journée du samedi et celle du dimanche chez un petit monsieur un peu lourd, dont la solitude était criante. Le dimanche soir, à 23h, je recevais un SMS dans lequel il m’expliquait avoir peur de ne pas dormir et m’envoyait de « gros bisous ». Même virtuellement, ça m’a semblé crado. Que faire ? Tout d’abord, le message a été effacé. Ras-le-bol de perdre du temps. Aux oubliettes !

J’y ai repensé dans la nuit. Il fallait répondre : je ne voulais pas être une nouvelle fois dans l’évitement. Le lundi matin, il a donc reçu un message lui rappelant qu’il avait l’âge d’être mon père et que je comptais bien qu’il me laisse tranquille. Une réponse d’excuse un peu neuneu a suivi. J’ai eu ensuite le tort d’envoyer un « merci, bonne journée ». Les dés étaient jetés...

Dans l’après-midi, nouveau message de sa part pour me dire combien je lui avais fait de la peine… Non seulement la garde n’avait pas été formidable pour ma chienne, mais en plus il fallait supporter ses états d’âmes ? Certainement pas. Je me moquais bien de lui avoir fait de la peine car son premier message m’avait plongée dans une colère noire. OUI, RAS-LE-BOL de ces personnes qui s’imaginent avoir leur chance quand on se comporte simplement avec humanité et gentillesse. Sa réponse : « tu as dû avoir des problèmes avec des hommes ». Évidemment, le malentendu ne pouvait être que de mon fait. Quoi ? J’avais pris 2 cafés avec lui et je ne voulais rien de plus ??? Quelle s… !! Vous êtes d’accord, non ?

Fallait-il encore répondre ? A ce stade, et à cet âge, le cas est désespéré et je n’ai aucunement l’intention de l’aider à progresser. J’ai quand même répondu une dernière fois pour écrire noir sur le blanc de mon téléphone que c’était lui qui avait un comportement inapproprié. POINT. Mais quand on n’a jamais été mis en face de ses actes et qu’on est dans le déni depuis sans doute des années, il faut avoir le dernier mot. Je lui ai laissé. J’avais perdu assez de temps. Je n’étais pas coupable de son comportement, mais j’avais laissé la porte ouverte en ne recadrant pas les premiers propos qui flirtaient à la ligne rouge. J’avais voulu avoir la paix, comme en 2017, quand un petit vieux de Villeflambeau dans le 77, m’avait dit en me regardant droit dans les yeux :

ATTENTION PROPOS RAPPORTES POUVANT CHOQUER LES ÂMES SENSIBLES

« si je te prends, je te prends par devant parce que ce serait dommage de ne pas voir ta tête ».

Celui-ci s’était cru autorisé à cela, car j’avais laissé couler certaines remarques pour avoir la paix et pouvoir continuer de promener mes chiens dans les bois à côté de chez moi. J’avais été tellement interloquée, que je n’avais pas su réagir sur le moment. En revanche, je l’avais attrapé quelques jours plus tard en lui demandant s’il arrivait que je lui parle de son derrière. Non ? Eh bien, le mien avait le droit d’être tranquille. J’avais ajouté qu’à son âge, il était peu probable qu’il change… Je reconnais la bassesse de cet argument, mais la bassesse du personnage le justifiait bien.

Plus tard, j’avais même dû salir les oreilles d’une voisine qui ne me croyait pas et ne pouvait pas me croire. Ce petit pépé avait parfois un humour un peu « gaulois » mais enfin, ça ne pouvait pas aller bien loin. Et c’est comme ça que les vieux dégoûtants gagnent, et pas seulement les vieux. On laisse passer et on n’en parle plus. Je pense qu’il faut changer cela et partager, ne serait-ce qu’entre femmes, ce que nous avons subi de la part de certains. Bien sûr, vous me direz qu’il y a pire. Mais la dégradation commence par des mots.

J’en viens à cette question : et si nous réagissions à chaque fois ? Oui, c’est épuisant, mais cela profiterait sans doute aux plus jeunes qui vont découvrir dans quelques années les « joies » du harcèlement… (« ben oui, ça veut dire que tu plais » : NON !) Pensée émue pour ma nièce de 5 ans et toutes les petites filles qui n’ont pas encore idée de ce qu’elles vont avoir parfois à affronter. Une pensée aussi pour les petits garçons à qui on inculque des valeurs de « virilité » qui aboutissent à les détruire. La fabrique de « l’homme fort » creuse les tombes de certains et rend la vie moins vivable à tout le monde. Je pense en particulier à une personne qui préfère se tuer à petit feu plutôt que d’affronter ses démons chez un psy : parce qu’il n’est pas fou, surtout parce qu’il ne peut pas s’imaginer admettre des faiblesses. C’est en partie son choix, mais c’est aussi le résultat de tout un système symbolique : la société lui a comme imposé d’être un « vrai mec ». Quel gâchis collectif ! Revenons à notre sujet principal. On peut citer ici la construction des schémas de drague. Quand on demande aux petits garçons d’inviter les filles à danser dans un centre de loisirs ou en colonie, par exemple, on insinue, sans vouloir faire de mal, que les hommes doivent proposer et les femmes choisir. Les lignes bougent, mais si lentement. Ai-je fait ma part aussi ? Je crois que non. Souvent, par lâcheté, en me cachant derrière l’argument facile de la tranquillité, j’ai laissé passer. Comment faire ?

Catherine : Je crois à la transmission. J’espère en avoir aussi transmis une partie à mes enfants une fille et deux garçons. Dès 2 ou 3 ans, je leur ai appris à se défendre contre « des adultes » qui les embêteraient et à nous le dire. 

Je n’ai jamais entendu parler d’agression avec mes garçons (parce que ça arrive aussi…) J’ai toujours été vigilante, aussi bien par rapport aux risques courus qu’à leur comportement avec les femmes. Autant que je le sache, et j’ai posé plusieurs fois la question, ils n’ont jamais été agressés… ni agresseurs.

La seule fois où j’ai été lâche, et je le regrette aujourd’hui, c’est quand un vieux croulant de voisin (70 ans+) a eu des paroles, « tu es mignonne, quand tu seras grande, je te ferai bien passer à la casserole » (ou quelque chose d’approchant), à ma fille de 11/12 ans. J’étais prête à porter plainte, ou au moins à aller voir la fille de cet homme et lui raconter. Mon mari (pas très courageux mais je l’ai choisi comme ça… on se demande pourquoi) m’en a dissuadée, parce que c’était une seule fois, parce qu’on aviserait s’il recommence, parce que…. Il a convaincu ma fille, sa fille…. Mais « me too » était encore loin !

En revanche, il faut dire que tous les hommes ne sont pas agressifs. J’ai eu beaucoup de « petits copains » que j’ai choisis et tous gentils, pas des « mâles dominants » ».

En effet, il ne s’agit pas de devenir des harpies ni de voir de mauvaises intentions partout, mais bien de revendiquer du respect. Chères consœurs femelles de l’espèce homo sapiens, quand vous parlez pour la première fois à un mâle, donc un mâle que vous ne connaissez pas, commencez-vous par lui dire qu’il est charmant en clignant de l’œil d’un air de dire : « toi, je te serrerais bien entre 2 portes » ? Je pense que non, ou alors c’est une minorité. Et même si plus de femmes le faisaient, ce ne serait pas bien pour autant. DU RESPECT, MERDE ! Est-ce trop demander ? Du respect des deux côtés. Non, ce n’est ni mignon ni galant ni élégant de glisser des compliments sur le physique à quelqu’un qui n’a rien sollicité de tel. Nous ne sommes pas que des corps.

A partir d’aujourd’hui, je me promets d’essayer de ne rien laisser passer et de réagir sur le champ. Parce que viser la belle vie passe aussi par poser des bornes. Avec Catherine, on est d’accord.

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La belle vie!

La belle vie!

Par Alexandra Borsari

Écrivaine de fiction et non-fiction. Militante pour un congé citoyen et la Skholè pour tous : avoir du temps pour soi, en particulier pour les activités culturelles, ne devrait pas être un luxe réservé à de rares élus. Nomade sur les routes d'avril 2017 à début 2023, je vis maintenant sur l'eau dans un petit voilier. Apprentissage de la navigation en cours pour repartir en itinérance, au moins une partie de l'année.

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