Les groupes sociaux peuvent-ils vraiment tolérer le bonheur individuel ? Oui, à condition d’imaginer un contrat social qui y soit favorable. C’est en partie l’objet de cette série de petits textes que j’imagine s’accumuler sur le temps long, au rythme de 2 ou 3 par mois.
Quand les moitiés se retrouvèrent, chacun avait si bien appris à être heureux seul que non seulement les duos, mais la cité toute entière rayonnaient d’un bonheur collectif intense.
Voilà comment je résumerais ma vision de l’articulation idéale entre individu et société. Cela ressemble à une mauvaise traduction du grec ancien, un passage apocryphe d’un Banquet bis (1) dans lequel les moitiés séparées n’auraient pas souffert de la séparation, mais l’auraient mise à profit pour muer en être à part entière : des moitiés complètes, si j’ose cet oxymore. Il s’agirait également d’un apocryphe avec un vilain anachronisme : le concept d’individu en tant qu’être autonome décidant pour lui seul n’apparaissant que bien plus tard (2). Pour le moment, je me bornerai à définir l’individu comme une personne agissant en son propre nom, pouvant se différencier de son groupe familial et social d’origine pour revendiquer des besoins et envies spécifiques. En déformant de manière radicale la pensée de Platon, la question pourrait se poser ainsi : est-il possible, pour tous, d’être libre dans la Cité ?
En -380, seuls les citoyens avaient le droit de s’exprimer et de décider pour l’ensemble des habitants. Il ne s’agissait alors que des hommes (et uniquement des hommes) libres (qui n’étaient pas esclaves), et qui étaient issus de familles reconnues comme « étant de » la cité en question : ils ne pouvaient être ni étrangers, ni esclaves affranchis. Il faudrait bien sûr nuancer cette présentation simplifiée. Et aujourd’hui ? Qui mettrait-on dans la catégorie des personnes libres? Le discours républicain universalisant prétend y inclure l’ensemble de la population. Dans les faits, si être libre équivalait à peser sur le cours des lois qui encadrent nos vies, cette catégorie se limiterait aux élus et aux personnels politiques, aux différents lobbies (groupes de pression, mastodontes économiques, familles proches des différents organes de pouvoir). La faible participation aux divers scrutins témoigne de cette intégration d’une exclusion de la décision par bon nombre de ceux qui sont pourtant désignés comme des citoyens.
Je n’ai pas de solution immédiate pour remédier à cet état de fait. Cette lettre ne vise à donner ni recettes, ni leçons, ni à délivrer un quelconque discours pseudo-scientifique. En revanche, je suis persuadée qu’en pensant à plusieurs, nous pouvons avancer vers des ébauches de solutions. Ce qui m’intéresse ici relève ainsi du politique : cet espace entre les êtres humains sur la place publique, c’est-à-dire dès que nous sortons de la sphère de l’intime. Ma démarche n’est pas non plus scientifique : je me faufile dans vos boites mails sans que mes textes aient été relus et validés par des pairs : les pairs étant ces personnes que les institutions académiques reconnaissent comme des sachants dans leur disciplines. J’utilise à dessein le terme de sachant et non celui de savant, car en être ou ne pas en être ne tient pas seulement à la qualité de vos travaux. Les esprits plus ou moins brillants doivent aussi se conformer à des codes. Les mondes de la recherche sont des mondes du travail comme les autres. Si aucun comité de lecture ne se penche sur ce que je vous soumets, je bénéficierai cependant de temps en temps, voire peut-être à chaque fois, du retour de lecteurs tests. N’hésitez pas à vous manifester si vous souhaitiez apporter votre regard sur la fabrication d’un prochain texte.
Pour résumer, il ne s’agit ici ni de psychologie sociale, ni de sociologie politique, ni d’anthropologie, ni de philosophie, ni de biologie. Je puise dans tous ces champs de recherche, mais n’appartiens à aucun. Je suis une personne lambda essayant, avec le peu de culture générale dont je dispose (et quelles sont abyssales mes lacunes!) de me frayer un chemin vers la vie véritablement heureuse qui, à mon sens, va de pair avec la vie libre. Encore des concepts à définir ! Cependant, l’idée n’est pas de proposer des définitions a priori : ma démarche s’inscrit dans le concret. J’envisage cette promenade réflexive en votre compagnie à partir des observations et témoignages recueillis tout au long de mon chemin nomade, même s’il sera nécessaire d’en passer régulièrement par des bribes de définitions qui seront réévaluées au fil de l’eau. Je me permettrai souvent de prendre des raccourcis et m’en excuse par avance. Maintenant, plongeons ensemble, on se sent moins seul !
Vivre la belle vie devrait être la priorité de tous, rendre accessibles les conditions d’une belle vie pour chacun, un programme politique transpartisan
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